ÉDITO. De Gaulle, Jeanne d’Arc, Clemenceau… Le chef de l’État aime enfiler des costumes historiques. Au risque de ne jamais se montrer lui-même.
Par Sébastien Le Fol
Emmanuel Macron se voit en héros politique. Il se range en effet parmi ces « êtres doués originellement et de manière innée d’une flamboyante capacité d’intellection », pour reprendre l’expression de l’historien Thomas Carlyle. Macron ne manque ni de panache, ni de vision, ni d’idéal stoïque. Cette quête de l’héroïsme, le président l’a exprimée avec force dans son entretien fleuve accordé au Point en août 2017. Il ne rate jamais une occasion de célébrer les vertus héroïques dans ses discours. Et, quand il se compare à des personnages du passé, c’est à des héros mythiques.
Comparaison n’est pas raison. En mars, devant un hôpital de campagne à Mulhouse, on l’a vu mimer Clemenceau dans les tranchées. Récemment, à l’Élysée, en visioconférence devant les people chics de la culture, il s’est essayé au lyrisme de Malraux. À force de le voir en représentation, certains ont cru qu’il s’était aussi déguisé en Superman. Une photo sur Instagram le montrait en effet vêtu d’un pull bleu moulant avec un autre, rouge, noué en écharpe… La ressemblance avec le super-héros était troublante.
Le sauveur, l’âge d’or, l’unité…
Macron s’identifie-t-il aux personnages à qui il rend hommage ? C’est le propre de ce genre d’exercice. Mais c’est aussi un moyen pour lui de revisiter quelques-uns des « grands ensembles » politico-mythologiques français définis par l’historien Raoul Girardet : le sauveur, l’âge d’or, l’unité…
Ce dimanche, à Montcornet, le président doit mettre ses pas dans ceux du colonel de Gaulle. C’est dans ce village de l’Aisne que ce dernier tint tête aux panzers le 17 mai 1940. Au menu de son discours, cette fois, l’esprit de résistance, le courage et le refus de la défaite. 2020 est une grande année gaullienne. On célèbre le cinquantième anniversaire de sa mort et le quatre-vingtième de l’appel du 18 Juin. Pour galvaniser le peuple France, sonné par le Covid et la crise économique, le parrainage semble tout indiqué.
Pourtant, ces derniers temps, le verbe macronien a beau évoquer des heures shakespeariennes, il résonne comme un feuilleton de France 3. Il y a un décalage de plus en plus gênant entre le ton présidentiel, l’imaginaire qu’il charrie et le prosaïsme de notre situation. Au début de la pandémie, ses interventions exaltaient valeurs guerrières et vertus chevaleresques. Mais le quotidien des Français, c’était l’attestation de déplacement et la promenade avec le chien dans un rayon d’un kilomètre. Le mimétisme se retourne contre le président. Nous ne sommes pas en 1940 et il n’est pas de Gaulle. Son appel du 16 mars 2020 ? « Il faut rester chez vous ! »
À propos du général de Gaulle, on recommande au président de la République la réédition du livre cinglant que le journaliste et homme politique Henri de Kerillis lui consacra en 1945 : De Gaulle dictateur (Perrin). Kerillis fut le seul député de droite à voter contre les accords de Munich et rejoignit Londres deux jours avant de Gaulle. Farouche opposant de Pétain et de Vichy, l’auteur dissimule mal son amour déçu : de Gaulle le prit de haut. Mais son regard sur le personnage est stimulant, même pour un admirateur de l’épopée gaullienne. Méfions-nous des belles statues ! Face à l’homme du 18 juin, écrit Kerillis, « on se croirait devant une transposition, sur la scène publique, du génial artiste Fregoli qui, pendant près d’un demi-siècle, attirait dans les cirques de France et de l’Europe entière des foules émerveillées à cause de la vitesse prodigieuse avec laquelle il apparaissait sous les déguisements les plus différents ».
Succession frénétique de rôles
Macron est-il notre Fregoli ? Sa présidence donne parfois l’impression d’une succession frénétique de rôles. Comme si le chef de l’État voulait transposer à la scène son « en même temps ». Son vestiaire est riche de costumes historiques qu’il enfile selon les circonstances : Jeanne d’Arc (relire son discours d’Orléans de mai 2016, alors qu’il était ministre de l’Économie), Mendès France, Pompidou… En réalité, Macron se cherche encore. Qui est-il ? Les Français se le demandent.
Macron croit au miracle des rois thaumaturges. En revêtant leurs habits, en prononçant leur nom, il espère capter le pouvoir de guérison qu’on leur attribuait. Il ne se résigne pas à être un leader centriste, rationnel et démocrate du XXIe siècle. Il a besoin d’imaginer des flammes et des bruits de canon autour de lui quand il s’adresse aux Français. Au risque de paraître jouer dans une mauvaise reconstitution.
« Il portait en lui des flots d’espérance. Il jetait dans les âmes la semence d’une future grande moisson d’héroïsme », écrit Kerillis à propos de De Gaulle. La moisson macronienne sera-t-elle aussi féconde ?
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Très bien vu. Bravo.