Les hommes ont des droits !
Un de mes amis, universitaire retraité, m’a dit un jour qu’en raison de son âge, il bénéficiait, à Paris, de la gratuité des transports. « C’est bien, non ? » me demanda-t-il. « C’est très bien, lui répondis-je, mais pourquoi dois-je te payer tes déplacements ? » Un silence s’ensuivit de sa part, avant qu’il ne me dise piteusement : « Tu as raison. » La gratuité est un poison pervers, puisque même un esprit cultivé peut en être victime, et c’est tout le mal français.
Les hommes politiques aiment installer la gratuité parce qu’ils en attendent la reconnaissance des bénéficiaires, et ces derniers ont d’autant moins de scrupules à vivre aux crochets d’autrui qu’ils sont nombreux à le faire et peuvent légitimement se dire « pourquoi pas moi ? » On a tant dépensé en gratuité dans notre pays depuis plus d’un demi-siècle qu’il affiche une dette publique désastreuses et que les deux tiers de sa population sont pauvres. Quand ceux qui travaillent ont autant de monde à entretenir, ils finissent par s’épuiser et se décourager et passent alors d’un univers à un autre.
L’humoriste Bernard Haller jouait un sketch de grande portée. Un homme élégant, chapeau marron et manteau camel, se promène dans les allées du bois, tout heureux de jouir de cette belle journée et de son enviable sort. Il s’assied sur un banc et pose son chapeau sur ses genoux. Une femme passe devant lui, le regarde longuement, puis revient sur ses pas et jette une pièce de monnaie dans son chapeau. L’homme est surpris et fait un geste de dénégation, mais la femme l’apaise d’un sourire généreux. Une autre femme vient à passer et jette à son tour une pièce dans le chapeau de l’homme. Et à mesure que les passantes alimentent le chapeau de monnaie, l’homme s’affaisse peu à peu sur lui-même et finit par se transformer en loque humaine. Nous venons d’assister aux malheureux effets de la société d’assistance.
Il y a quelque chose d’inexorable dans la construction d’une société d’assistance. Chaque geste dit de générosité en entraîne un autre, jusqu’à la paralysie de la société. C’est alors qu’éclatent les disputes pour savoir qui a trop et qui n’a pas assez, et que des mesures sévères sont prises pour punir certains d’avoir abusé des bienfaits sociaux et pour tenter de les remettre au travail, ce qu’on ne parvient jamais à faire parce qu’ils sont devenus inemployables par déformation de leur caractère. Les politiciens ne tardent pas à choisir leur camp. Les amis des pauvres deviennent des vengeurs et multiplient les attaques contre les partis qui veulent réduire les dépenses, tandis que le parti raisonnable en appelle au bon sens et au civisme de ceux qui n’en peuvent plus de payer. Tous les éléments de la guerre civile sont réunis. Il ne manque plus que l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. Le mieux est la mort d’un pauvre, victime d’une agression injuste de la part de citoyens outrés.
De tels évènements se déroulent selon un rite immuable. Seuls changent les costumes des acteurs, qui évoluent selon l’époque. Un sans-culotte ne ressemble pas à un militant insoumis, mais ils ont le même cerveau, les mêmes pensées et les mêmes réflexes. Et ils agissent de manière strictement identique. La section des piques a été remplacée par l’union des poignards et les boulangères sont aussi grosses que les élues insoumises, qui en fait ne sont insoumises qu’aux régimes alimentaires.
A ce stade, il faut surtout compter sur la chance. Celle qui fera surgir un homme de caractère, qui mettra tout le monde d’accord par l’énergie de ses mesures et la rigueur de sa conduite. De tels hommes existent en grand nombre dans la société de travail. Il suffit que l’un d’entre eux en ait marre de cette chienlit et sache se faire entendre. A partir de là, au prix d’inévitables violences, la société sera remise au pas et pourra reprendre son essor. Mais pas d’illusions à se faire : tout sera toujours à recommencer. Sauf …
Sauf si la société adhère massivement aux conduites vertueuses d’un pays moderne. Les hommes de la Révolution qui ont formulé les droits de l’homme sont à honorer définitivement. On n’a jamais fait mieux, et l’on ne fera pas mieux dans l’avenir. Car ces droits recouvrent des comportements inhérents à l’espèce humaine, et qui n’ont pas varié au fil des millénaires. Voyez comme la propriété a été une aspiration permanente, même si les pouvoirs successifs l’ont toujours bafouée. Voyez comme l’homme ne se laisse pas naturellement opprimer, et comme il aime à dire ce qu’il pense. Il n’y a pas à chercher plus loin. Mais faire respecter ces droits est un combat permanent. Le nouveau pape l’a très bien dit : « Le mal ne gagnera pas. » Et le mal c’est tout ce qui porte atteinte aux droits de l’homme, que l’on soit croyant ou pas. Cela demande un effort permanent des hommes et des femmes qui vivent sur cette terre. Le spectacle du mal ne doit pas décourager les hommes de bonne volonté. S’il leur faut plus d’efforts, qu’ils les consentent. La récompense sera au bout du chemin.
Claude Reichman
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