La Ve République est en perdition !
Quand un régime politique perd pied, il utilise la justice et l’armée contre ses opposants. C’est ce que vient de faire l’Etat en emprisonnant Sarkozy et en donnant l’assaut à une ferme d’Ariège pour y abattre son troupeau de vaches. Dans les deux cas, cette démonstration de force était inutile. Sarkozy n’était pas en fuite, et les agriculteurs avaient donné leur accord sur l’abattage de leurs vaches. Mais quand on a des muscles, on les montre, même s’ils sont ridiculement maigres.
Le gouvernement était venu à bout des gilets jaunes en les éborgnant à coup de grenades. Il y avait été bien aidé par l’extrême gauche qui s’était emparée de ce mouvement, constitué au départ de professionnels indépendants qui n’en pouvaient plus des charges imposées par l’Etat. Quand le calme fut revenu, Macron entama un tour de France consistant en d’interminables monologues présidentiels, de ville en ville, prononcés devant des auditoires captifs et qui ne convainquirent personne, sauf Macron lui-même qui n’a pas de plus grand plaisir que de s’écouter parler.
Ainsi va la cinquième République finissante. Elle ne souffre pas d’un mal soudain, mais de l’inexorable dérive d’un pouvoir fondé sur l’Etat et l’impôt, ce qui est d’ailleurs la même chose. De Gaulle avait cru qu’en restaurant l’autorité de l’Etat, il assurerait la survie de son régime. Ce ne fut pas faux au début, car la dépense publique ne dépassait pas le tiers de la production du pays. Six décennies plus tard, la dépense a doublé et étouffe l’économie. Sans que personne dans le personnel politique ne soit capable de mettre un frein à cette dérive. Il ne reste plus que la démonstration de ce qu’il reste de force au pouvoir.
L’élimination des adversaires est le propre des régimes faibles. La mise au cachot de Sarkozy est une vraie folie. Ce n’est pas un criminel, et il n’a rien à faire en prison. C’est une folie parce qu’elle va précipiter le désir de vengeance des partisans de l’ancien président, qui se manifestent dès à présent en se pressant aux signatures de l’ouvrage qu’il vient de publier. L’humiliation de cet homme est une faute grave, même s’il l’a supportée vaillamment. Nous ne sommes plus dans le débat démocratique, mais dans l’usage de la force pour faire prévaloir son autorité. Cela se termine toujours mal. Car tous les hommes politiques ont compris le message. Filer droit, ou c’est la prison. Bien entendu, celui qui manipule ainsi la lettre de cachet en sera tôt ou tard le destinataire.
Homo sapiens n’a guère que quatre cent mille ans d’existence. Son histoire n’est faite que de guerres et de massacres. Au fil des siècles, seule l’échelle a changé. Il ne s’agit plus de massues, ni d’arcs et de flèches, mais de missiles à tête nucléaire que menacent de se lancer des puissances mondiales. A présent, on trouve sur le marché des drones que tout un chacun peut acquérir pour jouer à sa guerre personnelle. Le dessinateur Dubout avait bien pressenti la nouvelle ère. Ses œuvres hilarantes mettaient en scène des foules d’individus ordinaires qui s’empoignaient allègrement. On n’a pas fait mieux depuis pour dépeindre l’humanité. Car le scénario du spectacle est immuable.
Parmi les curiosités de l’affaire Sarkozy, figure un tour de passe-passe auquel on ne nous avait pas habitués. Tout le monde s’est empressé de chercher sur internet la photo de la juge Gavarino qui a envoyé Sarkozy en prison. On l’a bien trouvée, à ceci près que ce n’était pas elle, mais la procureure en retraite du parquet national financier, Eliane Houlette. Celle-ci n’étant plus dans l’actualité, elle pouvait valablement être substituée à une juge en butte à la colère de beaucoup. Bravo les artistes. On connaissait l’art de la magistrature de protéger ses membres, mais aller jusqu’à une telle substitution, on ne l’avait jamais vu. C’est dire qu’on n’est plus dans une démocratie telle que chacun l’entend, mais dans une tactique de guérilla digne des grands moments des guerres civiles.
A peine sorti de prison, Sarkozy a publié un livre sur ses trois semaines de détention, et il parcourt la France pour le dédicacer. Des foules se pressent pour l’approcher. On n’avait pas vu ça en France depuis longtemps. Et on peut se demander ce qu’il adviendra si la cour d’appel, dans quelques semaines, l’envoie à nouveau au cachot. Surtout si Marine Le Pen est elle-même empêchée par la justice de se présenter à l’élection présidentielle. Décidément, la justice cumule les audaces. On peut le dire ainsi car dans ces affaires il n’y a aucune évidence judiciaire. Le plus sage eût été de laisser tout cela vieillir dans la poussière des greffes, où la paix civile eût été en sécurité. Mais la sagesse a disparu de la France. Il n’y a plus que des vengeurs grimaçant de haine. Ils finiront bien sûr comme tous les vengeurs, c’est-à-dire au cimetière des déçus de l’histoire, et on vénèrera leurs noms beaucoup moins qu’on ne les haïra.
Claude Reichman
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