… « Au mois d’août, alors que nos habitués, en vacances, sont remplacés par la province et les touristes étrangers, nous recevons la visite d’acheteurs anglais. Il faut croire que le mois d’août leur donne des envies de shopping.
L’année précédente au mois d’août, nous avions déjà reçu les représentants d’un groupe anglais spécialisé dans les loisirs. Ils souhaitaient acquérir des discothèques dans le nord de la France et une grosse à Paris. Nous avions passé dix jours en négociation.
A l’anglaise !
A l’anglaise, cela signifie qu’elle est hard et pas marrante du tout. C’était du quasiment non-stop du matin jusqu’à 22h. Nous étions heureusement sauvés par l’ouverture de la Loco.
Notre prix de vente était 8,5 millions d’euros. Nous leur avions annoncé ce chiffre avant leur venue.
La Loco les valait. Notre C.A tournait dans les 5 millions d’euros H.T. et l’emplacement était inestimable et lui rajoutait une sacré valeur. Et notre réputation qui était devenue internationale. A négocier donc. Vers le haut.
Le soirs, nos amis anglais nous accompagnaient, et passaient la soirée à la discothèque. Ils se promenaient dans celle-ci, un verre à la main, comme si, ils étaient déjà chez eux, en futurs propriétaires.
Je me souviens de l’expression favorite de leur big boss. Celui-ci, ne parlant pas très bien français, lorsqu’il avait un petit coup dans le nez, car les rosbifs ça picole sec, disait à nos employés, d’un air jovial et convaincu: « the kee in the pocket », joignant le geste à la parole, il tapotait sa poche de pantalon.
The kee in the pocket, l’expression nous restera.
Bref, il se voyait déjà dans notre fauteuil.
Et le matin, les palabres de marchands de tapis recommençaient âpres et sans fin.
Tous les éléments comptables y passaient. Tout était sujet à discutions. Ils auraient même discuté le prix des cendriers si nous les avions laissé faire.
Ils étaient là, c’était certain pour négocier notre prix et le faire baisser. Ils devaient penser nous avoir à l’usure. Je comprenais pourquoi ils avaient gagné la guerre de cent ans.
A un moment donné, nous achoppions sur un point de détail qui valait 80.000€.
Comme nous n’étions jamais d’accord, ni eux, ni nous, pour céder sur ce point, nous le mettions de côté, et après en avoir réglé d’autres, nous y revenions.
Encore et encore, sans trouver de solution. Personne ne voulant abdiquer. Le 5eme jour, ce problème était devenu un cauchemar.
N’en pouvant plus, je leur dis :
« Nous n’y arriverons jamais. Jouons-le à pile ou face.
Well, qu’est-ce que c’est le pile ou face ? »
Je leur explique.
Tous, ils s’esclaffent. Ah, ah, ah it’s very funny…
« On n’a jamais fait ça. C’est très amusant. OK, faisons votre pile ou face. »
L’un d’entre eux, rabat-joie, dit d’un air coincé « avant, il faudrait appeler Londres. »
D’un seul coup, ils sont tous redevenus sérieux et ils ont quitté le bureau en rang d’oignon pour téléphoner.
Lorsqu’ils sont revenus, ils nous ont dit d’un air navré :
« Désolé, mais Londres ne veut pas, ils ne trouvent pas cette idée amusing du tout ».
Et paf, nous revoilà au point de départ. Et reparlote pour ne rien dire jusqu’à 22h !
A la Loco, ils prenaient de plus en plus de place, cela devenait un peu boulet de les supporter.
Le matin suivant, arrivés avant eux au bureau, nous constatons qu’ils avaient laissé leur ordinateur sur une table. Et connecté, s’il vous plait ! Erreur mortelle.
Un de nos collaborateurs, qui parlait très bien anglais, l’ouvre et nous découvrons leurs instructions. Noir sur blanc.
Ils ne pouvaient dépasser 7,5 millions d’euros.
Deux heures plus tard, nous rompons les négociations en leur disant :
« O.K, vous êtes d’accord, oui ou non pour acheter à notre prix ? »
Réponses confuses : « oui mais non, il y a encore des points…
Arrêtons là, vous reviendrez lorsque vous serez décidés. En souvenir, voilà, pour chacun, un tee shirt de la Loco. »
En les raccompagnant à la porte, je dis à leur chef :
« You don’t have my kee in your pocket ! » Sacré Britishs ! Ils avaient brulé Jeanne d’arc mais ils n’ont pas eu la Loco…
Ils finiront par acheter le Palace, qui à cette époque, était dans leurs moyens.
Donc, re-coucou, voilà de nouveau des anglais qui viennent faire leurs courses à Paris et veulent nous racheter.
Ça devient une manie.
Mes associés, Fred et Kelly ne veulent plus vendre.
Nous les recevons quand même, mais là, un homme averti en valant deux, nous brûlons les étapes.
En deux jours, visite de la discothèque au pas de charge, avec boissons à volonté offertes (nous savons quand même recevoir), l’affaire est bouclée. Même cadeau de départ, un tee shirt Loco et good bye.
Nous les renvoyons de l’autre côté du Channel.
Ils se trompent de mois ces anglais, les soldes ce n’est pas en août à Paris…
La deuxième partie de cette année sera marquée par une visite de « courtoisie » des douanes juste avant l’ouverture.
Ils nous embarquent le stock de cigarettes du distributeur que nous avions mis, par facilité, en place pour nos clients.
Au lieu de faire la queue au vestiaire avec ceux qui déposent leurs vêtements, ceux qui voulaient uniquement acheter un paquet de clopes, pouvaient se servir, rapidement, au distributeur installé dans le couloir de celui-ci.
Motif officiel : vous vendez vos paquets plus chers qu’au tabac. Au vestiaire, c’est autorisé car vous fournissez un service avec manipulation.
Le distributeur ne rentre pas dans ce cadre-là. Conclusion, on embarque le tout, distributeur et clopes et on vous convoquera.
La convocation, on l’attend toujours et tous les douaniers de Paris ont dû fumer gratis pendant quinze jours.
Ils nous feront le coup, quasiment à l’identique, l’année suivante.
Ce jour-là, comme nous n’avions plus de distributeur, ils ont trouvé le prétexte que nous n’avions pas acheté nos paquets de cigarettes au tabac le plus proche de la Loco, ce qui est, parait il, une obligation d’après quasiment un millier d’articles du code des douanes!
« Mais, Monsieur le douanier, le tabac le plus près était fermé. Ils étaient en vacances ! »
Rien à battre, on saisit, on vérifiera, on vous convoquera.
Ils ont encore fumé pendant un mois (le stock était plus important), à nos frais. Merci la Loco.
Pas plus de convocation que la 1ere fois mais par chance on ne les a plus revu. Sans doute, ont-ils trouvé un autre « distributeur » plus près de leur bureau…
Le Truck à Vénissieux était ce que l’on peut appeler « une fausse bonne idée » et J.P Pommier décida de déposer le bilan en oubliant de nous rembourser l’argent que nous lui avions avancé. Oubli involontaire bien sûr.
Comptablement ce fut une perte financière importante, mais psychologiquement, quel soulagement.
Nous ne l’avons jamais regretté. Nous étions saturés des incessantes bagarres qui s’y déroulaient, quasiment tous les soirs et surtout, ce qui est le plus important, nous avions, au fil des mois, acquis la certitude que jamais nous ne pourrions exploiter cette discothèque de façon normale.
Nous étions encore dans une zone de guerre. Il valait mieux être prudent, prendre nos cliques et nos claques, fermer boutique et déguerpir au plus vite. Avant le 1er mort. Client ou sécu.
Ce fut notre premier échec. Il y en aura d’autres. Et des plus gros. »…