En Finistère, au bout de la Terre, dans un petit village sous la pancarte de Saint-Philibert, j’ai assisté à l’enterrement d’un proche. Le malheureux, de seulement cinquante-six bougies, souffrait depuis près de cinq ans d’un cancer facial, c’est-à-dire visible. Imaginez une bouche qui se dégrade comme une gueule cassée de temps de guerre. Placé un mois avant sa fin de vie en soins palliatifs, il se demandait encore s’il allait mourir, tellement il luttait pour survivre, après toutes les dents enlevées, et de multiples séances de chimiothérapie.
Celui, à qui je rendais visite régulièrement, répondait de moins en moins à mes présences, avec un masque sur le visage, moi-même masqué aussi dans le respect du protocole sanitaire lié au Covid. Le personnel soignant dans ce couloir de la mort – les soins palliatifs – est admiratif. Je me demande encore comment il peut réaliser un tel boulot : Accompagner des condamnés dans toutes leurs intimités dégradées, leur état de putréfaction vivante pour certains.
En déconfinement, tout en étant confiné, l’enterrement civil était la seule option. Et pourtant dans la petite chapelle d’à côté, mes parents s’y sont mariés, des amis aussi. Des choses plus tristes s’y sont évidemment déroulées avec des enterrements de gens ou de proches que je connaissais. Voir cette chapelle fermée, avec des instructions Covid cloutées sur ses portes, me semblait surréaliste. Non que j’ai la foi, mais j’aime l’architecture des lieux catholiques, leur odeur parmi leurs intérieurs, leur air frais de vielles pierres, leur silence, leur souvenir.
Une bonne partie de la famille s’est donc directement donné rendez-vous au cimetière de Saint-Philibert. Une bonne partie, car limitée selon nos nouveaux principes de précaution. Chacun sans masque, mais à distance, laquelle se raccourci très vite quand il faut prendre des décisions dans l’urgence de la célébration des obsèques. C’était en effet la première fois que je vivais une mise en bière pour aller direct vers le cimetière, comme dans un Western sous un profond ciel bleu. Ladite famille est éparpillée à travers le grand-ouest de la France. Passer du trépas le lundi matin pour se retrouver sous terre le mercredi après-midi, alors que le jeudi est férié, c’était court en termes d’organisation contrainte.
Notre famille jeune pour la plupart composée des petits enfants et de leurs pièces rapportées, car les « très vieux » sont déjà partis, est une famille libérée. Nous acceptons la vie et la mort comme des épouses, sans fard, avec tristesse certes, mais sans s’appesantir, sans chercher un coupable, un responsable. J’ai appris à accepter la mort de mes arrière-grands-parents qui reposaient sur leur lit de coucher au quotidien, comme des endormis quand j’étais enfant. Diner auprès du mort dans un recueillement silencieux. Puis le lendemain, se réunir avec d’autres gens comme pour un retour de noces …
Aurait-on pu faire mieux quant aux soins de ce potentiel défunt ? Probablement ! Y-a-t-il à faire des procès ? Et quand bien même aurions-nous gain de cause, qui paie ? L’Etat, c’est-à-dire vous ? Fin de partie, mais de la mémoire et donc de l’expérience. C’est cela la vie, de l’expérience pour mieux faire ensuite.
Bien à vous