Architecture : Amour et Haine

Hier, mon ami de cinquante ans a été inhumé. Deux familles ont été bousculées, atterrées, le temps a été suspendu, définitivement.

Mon ami a d’abord été mon client, puis mon partenaire intellectuel ponctuel, puis mon ami indéfectible global.

C’est une histoire fabuleuse très simple, qui tutoie l’extraordinaire.

Tout a commencé par la réalisation d’un cabinet dentaire réunissant trois patriciens aux mêmes ambitions professionnelles au service de leurs patients. Un chantier qui paraissait ordinaire, mais qui probablement ne l’était pas tant il a laissé une trace profonde dans la vie des participants.

Une première amitié est née entre les quatre intervenants, dont moi leur prestataire.

Puis le hasard m’a mis en présence d’un terrain hors du commun, à une époque ou l’acte constructif était libre. Ce terrain d’un hectare était situé à l’angle droit d’une petite falaise calcaire, de six ou sept mètres au-dessus de la Charente, exposé Nord et Ouest, surplombant la Charente dans son axe Ouest, à l’horizon illimité. Une splendeur, un endroit unique dont Dali aurait sans doute affirmé son destin de centre du monde.

Mis KO par le lieu, j’en parlais le jour même de sa découverte à Raymond, qui ce même jour l’achetait.

Puis Raymond m’accordant sa pleine confiance, j’ai cru alors réaliser la maison que je voulais, mon projet d’architecte.

C’est aujourd’hui, alors que nous avons porté mon ami en terre, que je me rends compte que je n’ai pas du tout à l’époque réalise mon œuvre, mais « notre » œuvre.

Cette maison, le terrain l’y aidant, avait une forte personnalité que j’ai cru mienne alors qu’elle était notre.

Nos deux familles étaient réunies pour l’enterrement de Raymond, et là j’ai compris que pour nos deux familles cette maison a servi de « pas de tir » diraient les astronautes, de « nid ou terrier » diraient les naturalistes.

Je veux dire que l’acte constructif ici n’a pas été l’œuvre personnelle de l’architecte, mais bien une alchimie mystérieuse et non exprimée, qui a envahi propriétaire et concepteur, qui a impacté leurs familles du fait que leur proximité amicale, a perduré avec le temps.

Cette puissance du bâti tout le monde la connait, mais je ne sais pas si tout le monde sait ou comprend à quel point elle est issue d’un partage entre l’architecte et son client sans lequel elle ne peut pas exister, sans quoi le bâti serait alors sans âme.

Cette nuit je dors mal, mon ami est parti, j’ai beaucoup de peine à admettre que c’est définitif. Pourtant, tout est irrémédiablement définitif…ce dont on n’a pas suffisamment conscience, notamment ceux qui déclenchent les guerres…

La conclusion est que l’architecture est un acte d’amour commun entre le concepteur et son donneur d’ordre, explicite ou non exprimé, mais incontournable, qui s’impose.

La tendresse de cette réflexion impose immédiatement son contraire — pourquoi le cacher — : qu’en est-il lorsque la haine s’empare des participants potentiels ?

C’est très simple, il ne peut plus y avoir d’architecture, seulement de la construction.

Je le vis à La Rochelle où Fountaine, « l’ancien-récent » maire me poursuit d’une haine farouche, déclenchée par son prédécesseur, qui laisse un magnifique terrain dans le centre urbain de la ville en jachère, « déarchitecturé », peut-être pour toujours s’il est demain construit de force.

La haine tue assurément l’architecture qui est donc bien un art, un sentiment, pas une technique, pas une ingénierie, pas un outil.

C’est ce que devraient avoir présent dans la tête tous les planificateurs de merde qui prétendent dicter l’expression architecturale de nos cirés.

Bien à vous. H. Dumas

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A propos Henri Dumas

Je suis né le 2 Août 1944. Autant dire que je ne suis pas un gamin, je ne suis porteur d'aucun conseil, d'aucune directive, votre vie vous appartient je ne me risquerai pas à en franchir le seuil. Par contre, à ceux qui pensent que l'expérience des ainés, donc leur vision de la vie et de son déroulement, peut être un apport, je garantis que ce qu'ils peuvent lire de ma plume est sincère, désintéressé, et porté par une expérience multiple à tous les niveaux de notre société. Amicalement à vous. H. Dumas

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