Par Vincent Benard
Le gouvernement vient de prendre, ce 24 décembre, le décret d’application (au 1er Janvier 2015) de la trop fameuse « loi de programmation militaire » et de son article 20 qui autorise un certain nombre de services publics à accéder à l’ensemble de vos flux et données hors de tout contrôle d’un juge.
La passivité des Français face à ces atteintes à leurs libertés fondamentales fait peine à voir. La population, lobotomisée par quelques attentats terroristes certes spectaculaires, mais tout de même d’une efficacité « terroristique » très limitée, semble avoir intégré le double argument officiel, « c’est pour votre sécurité, et si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre ».
Passons sur le fait que les écoutes de la NSA aient permis, de l’aveu même de son directeur, aveu difficilement concédé de surcroît, de déjouer « peut-être un ou deux attentats », voire même moins, selon une récente commission sénatoriale. Le pays le plus riche du monde a mis en place à peu près la même plateforme de surveillance généralisée que chez nous. Résultat ? Nul. Pas plus que cela n’empêchera quelques cinglés de foncer dans des foules en voiture.
Mais que dire de la croyance selon laquelle « si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre » ? Désolé, mais si vous croyez cela, vous êtes sans doute la victime désignée des prochaines dérives de nos gouvernants.
- Êtes-vous certains de n’avoir vraiment absolument rien à vous reprocher ? Que celui qui n’a jamais payé une baby-sitter au black jette la première pierre… Nous avons tous des « petits arrangements très limités avec les règles à la con » dans nos placards.
- Nous pouvons, tout en respectant parfaitement la loi, être amenés à commettre des actes dont nous préférerions qu’ils soient ignorés : conspirations politiques pour évincer un concurrent, relation amoureuse extraconjugale, préparation d’une offre concurrente de sociétés établies, aide discrète à un parti libéral minoritaire, journalisme d’investigation, obtention d’une promotion par piston, etc. À tout moment, un ennemi peut récupérer ces informations pour vous nuire, malgré toutes les assurances que donne l’État sur la sécurité des données qu’il collecte.
- Certaines « évasions » vis-à-vis de l’oppression étatique sont parfaitement légitimes. Je sais que cela choque même certains libéraux quand je dis cela, mais quand les impôts atteignent le niveau qu’ils atteignent, vouloir se protéger du léviathan étatique pour conserver, pour vous et vos proches, le fruit de votre travail, est parfaitement légitime. D’ailleurs, les dispositifs de surveillance censés « lutter contre le terrorisme » ont surtout servi à poursuivre des « délits » fiscaux ou des téléchargeurs de musique en ligne.
- C’est l’État qui décide ce qui est légal ou pas, et qui, surtout, fait bouger les lignes de la légalité du jour au lendemain. Un comportement, une activité parfaitement légale peuvent devenir l’objet de poursuites du jour au lendemain. L’État peut donc décider que, finalement, vous avez enfreint la loi. Vous ne me croyez pas ? L’État vient de décider que l’utilisation de niches fiscales pourtant votées régulièrement par l’assemblée élue pouvait constituer un abus de droit ouvrant la porte à un redressement fiscal, et, pire encore, à la mise en cause non seulement du contribuable, mais de ses conseillers ! Si vous avez confiance dans notre État après cela, je ne peux plus rien pour vous.
- Le caractère démocratique du régime qui nous gouverne n’est pas garanti dans le temps. Imaginez qu’un avatar de l’histoire pousse un Adolf Hitler bis au pouvoir, et que celui-ci ait accès à un fichier d’empreintes génétiques mis en place, « pour nous protéger », par le gouvernement démocratique précédent. Je vous laisse imaginer le potentiel destructeur…
- Enfin, le fichage ou la surveillance généralisés reviennent à traiter tous les honnêtes gens comme des coupables potentiels. À considérer que chacun d’entre nous est par nature suspect ou coupable. C’est la fin de la présomption d’innocence, sans vouloir l’avouer ouvertement. La société du flicage est certainement le pire de ce que l’élitisme implicite induit par l’État-nounou peut engendrer.
Vous me direz que l’État, avec son inefficacité habituelle, va amasser un nombre incalculable de données individuelles sur chacun d’entre nous, mais ne pourra évidemment pas poursuivre toutes les peccadilles qu’il découvrira chez la moitié de la population. Mauvais raisonnement. Le danger n’est pas une société de poursuites généralisées de tout contrevenant, évidemment impossible, mais celui où un gouvernement inquiet pour la survie du système qui le fait vivre pourra ressortir une vieille casserole sur toute personne représentant un danger. Voire, pire encore, dans un monde où tout est numérique et tout se manipule, attribuer à Monsieur X une casserole appartenant en fait à Monsieur Y.
« Mais si cela permet d’attraper plus de terroristes ? », me direz vous…
Vu que l’excès de bruit numérique n’aidera pas à distinguer un signal particulier dans la masse, on peut douter de l’efficacité de la méthode. Pire, trop se reposer sur un espionnage numérique de masse peut conduire les services en charge de la protection intérieure à négliger les méthodes plus traditionnelles d’investigation. Et de toute façon, les vrais criminels se donneront toujours les moyens de déjouer la surveillance publique. Nous ne ferons aucun progrès dans la lutte contre les menaces des temps actuels, mais nous serons sous l’épée de Damoclès d’un gouvernement qui dériverait vers une phase autoritaire.
Très mauvais deal…