Non, M. Attal, le pass sanitaire, ce n’est pas la liberté ! par NATHALIE MP MEYER

On le redoutait depuis un moment : la fin des confinements anti-Covid et le retour à la vie d’avant, le retour à une vie « normale » où chacun pourrait vaquer à ses occupations en toute responsabilité personnelle, sans obstruction de ses libertés fondamentales (de réunion, de déplacement, économiques) bien mises à mal depuis dix-huit mois s’accompagneraient de la mise en place… d’une nouvelle obstruction sous la forme d’un pass sanitaire.

Autrement dit, après avoir totalement désorganisé nos libertés via la grosse artillerie de confinements et de protocoles, jauges, horaires de couvre-feu, listes de produits non-essentiels et autres décisions hyper-millimétrées dont chacun a pu mesurer à un moment ou à un autre les aspects absurdes (Grande roue de Lille), bureaucratique (attestions de déplacement dérogatoires), idéologiques (tous contre Amazon) ou arbitraires (traque par hélicoptère des randonneurs sans masque), Emmanuel Macron envisageait très sereinement de les « organiser » au nom du retour aux libertés :

 

Or c’est maintenant chose faite depuis avant-hier : les voyages à l’étranger ainsi que l’accès à certains rassemblements de plus de 1 000 personnes sont conditionnés à la présentation d’un certificat de vaccination ou à un test de dépistage négatif de moins de 48 heures ou à un certificat de rétablissement si on a eu le Covid-19.

Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal était ravi de nous en faire l’annonce puisque pour lui :

« Le pass sanitaire, c’est la liberté. »

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Réalise-t-il qu’il parle là comme dans la dystopie « 1984 » de George Orwell où les citoyens sont travaillés sans relâche par la propagande du Parti avec des slogans inversés du style « la guerre, c’est la paix », « la liberté, c’est l’esclavage », « l’ignorance, c’est la force », jusqu’à se penser libres dans la situation d’oppression qui est la leur ?

Mais, Mme MP, m’objecte-t-on, vous en faites trop : quelle oppression ? Il ne s’agit que des rassemblements de plus de 1 000 personnes, ce qui est loin de constituer une entrave insurmontable à la vie quotidienne ; ensuite, tous les rassemblements ne sont pas concernés ; et en plus, tout cela est prévu pour s’arrêter le 30 septembre. Encore un petit effort et la vie d’avant est à nous !

Mes contradicteurs ont raison sur un point : les seuls rassemblements assujettis au pass sanitaire sont ceux qui relèvent des activités de loisirs, des foires et des salons professionnels. Tout ce qui est politique, syndical ou cultuel y échappe. Et tout ce qui y est théoriquement assujetti sans la possibilité pratique de déployer la mise en œuvre du pass y échappe également. Comme l’écrit le gouvernement lui-même dans ses documentations :

« Il semble difficile par exemple de l’exiger pour les personnes qui seraient stationnées au bord des routes pour regarder le feu d’artifice du 14 juillet. »

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Mais contrairement à mes contradicteurs, je prends ces concessions pratico-pratiques pour les unes et apparemment soucieuses de ne pas trop irriter la fibre politique ou religieuse des Français pour les autres, pour un argument de plus en faveur de l’abandon pur et simple de la mesure. Quelle logique y a-t-il à interdire à une personne non vaccinée l’accès à un « festival en plein-air » de plus de 1 000 personnes quand on l’autorise à participer à un rassemblement politique de même dimension ?

Sans compter que les citoyens sont une fois de plus soumis à une liste administrative à la Prévert de lieux accessibles et non-accessibles, avec tout ce que cela comporte de cadrages-débordements bureaucratiques comme on ne sait que trop bien les pratiquer en France.

La question des données personnelles est également des plus préoccupantes. Même si la présentation d’une attestation de vaccination papier reste acceptée, le gouvernement encourage vivement l’utilisation de son application TousAntiCovid qui serait selon ses dires parfaitement sécurisée du point de vue des données sanitaires. Or plusieurs informaticiens spécialisés en cyber sécurité ont mis en garde récemment contre le fait que le pass serait en réalité une véritable « passoire » ou un « panier percé » en matière de protection des données.

Pour tout arranger, des sénateurs zélés ont déjà rendu un rapport appelant à la collecte et au partage des données personnelles de différentes applications (TousAntiCovid, Waze, OuiSncf, etc.) afin de pouvoir « mieux gérer » une prochaine crise sanitaire via des sms d’information, des rappels à l’ordre et jusqu’à des sanctions de blocage des comptes bancaires ou de désactivation d’un titre de transport pour les personnes qui violeraient les mesures de restriction. Ah oui vraiment, quel brave new world en perspective ! Le risque de la pente glissante dans la surveillance rapprochée de masse s’avère de moins en moins hypothétique.

Il est important de savoir en outre que la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire qui rend le pass sanitaire possible ne stipule nullement le seuil de 1 000 personnes. Il est donc tout à fait possible au gouvernement de décréter 800 ou 500 à sa guise. Je ne dis pas qu’il le fera, mais la loi est ainsi faite qu’elle donne un pouvoir discrétionnaire excessif à l’exécutif. 

Ajoutons que l’expérience que nous avons des lois antiterroristes successives – des lois élaborées pour nous protéger, elles aussi – tend à indiquer que tout ce qui est instauré à titre temporaire est généralement là pour durer. On l’a bien vu en 2017 avec la décision d’Emmanuel Macron d’intégrer dans le droit commun les principales dispositions de l’état d’urgence décrété par François Hollande en 2015.

Si tout cela est déjà très grave, le plus fondamental à mon sens reste que les libertés individuelles n’ont pas à être « organisées » comme le suggérait Emmanuel Macron. Elles sont, point. Toute autre configuration nous fait entrer dans un système illibéral où les notions de bien et de mal sont entièrement soumises à l’appréciation arbitraire et discrétionnaire des dirigeants.

En aucun cas le pass sanitaire ne peut être considéré comme un instrument de liberté. Outre qu’il rétablit une forme de discrimination hygiéniste qu’on pensait révolue, il constitue un instrument délibéré de coercition qui tend à obliger les personnes pas trop tentées par la vaccination (parce qu’elles sont jeunes et pas du tout à risque, par exemple) à se faire vacciner.

Or la liberté, c’est l’absence de coercition, ce qui inclut logiquement le respect des individus par reconnaissance de leur parfaite aptitude à prendre leurs responsabilités à partir du moment où ils sont bien informés dans le cadre d’un débat ouvert et intelligent sur tout sujet important pour eux-mêmes en particulier et pour la société dans son ensemble – environnement, climat, questions sociales, sociétales, etc., et aujourd’hui pandémie.

En conséquence, dans l’état actuel des connaissances sur ce coronavirus qui nous immobilise dans une peur excessive depuis plus d’un an, je rejoins tout à fait ce que tweetait récemment le Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste de l’AP-HP et directeur médical de Doctissimo :

Non pas que je sois le moins du monde opposée à la vaccination. Je pense au contraire qu’elle joue un rôle indispensable dans la limitation de la circulation du virus et dans la diminution du nombre de cas graves. Au regard de cette fonction, il serait dommage de confondre produit médical utile et instrumentalisation politique coercitive de ce produit médical. J’ajouterai même que si des personnes jeunes et sans comorbidités préfèrent se faire vacciner plutôt que d’en passer par un Covid-19 parfois long et pénible, eh bien pourquoi pas ?

Mais quoi qu’il en soit, les obligations et les interdictions administratives infantilisent, tandis que l’appel à la responsabilité de chacun pour se protéger et protéger les autres en fonction des risques encourus serait le signe d’une société solide et mature.

Aussi, plutôt que de prendre les gens pour des enfants à placer sous surveillance perpétuelle et à pousser aux « bons comportements » par des récompenses digne du contrôle social chinois – Tu veux aller au concert ? Vaccine-toi d’abord ! – essayons de bâtir un environnement politique, une vie de la cité où les adultes qui nous dirigent parlent aux adultes qui les ont placés où ils sont. À cette condition seulement aurons-nous effectivement liberté et sécurité.

Première étape, demandons instamment la suppression de ce pass sanitaire conjoncturellement inutile, informatiquement mal sécurisé, politiquement reproductible ad vitam et urbi et orbi et surtout fondamentalement liberticide, contrairement à ce que prétend le porte-parole du gouvernement dans un effroyable accès de novlangue orwellienne.

Non, M. Attal, le pass sanitaire, ce n’est pas la liberté !

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