Didier Picot revient pour nous sur l’irresponsabilité des fonctionnaires et sur son impact pour le service public qu’ils sont supposés animer. Attention, ça pique les yeux…
La semaine dernière, j’ai rappelé que les hauts fonctionnaires au pouvoir n’étaient juridiquement pas responsables de leurs actions ni de leur inaction (sauf en cas de « faute personnelle détachable de l’exercice de (leurs) fonctions » c’est à dire en Français si leur action problématique se situe en dehors du cadre autorisé). Le Directeur de la Santé ne peut pas être et ne sera pas poursuivi à titre personnel pour n’avoir pas préparé le pays à une épidémie majeure bien qu’il en ait reçu la mission explicite : c’est la loi. Nos hauts fonctionnaires ont le pouvoir, pas la responsabilité. Or cette absence de responsabilité les coupe du monde : dotés d’un pouvoir que personne ne peut remettre en cause, ils en conçoivent un esprit de supériorité qui devient arrogance, et leurs décisions en deviennent non pertinentes.
Sans responsabilité, la décision est non pertinente
Nombreux sont les Français qui souscrivent à la croyance qu’un décideur compétent et objectif prendra les bonnes décisions. Il vaut évidemment mieux qu’il ne soit pas incompétent, mais la compétence seule n’est pas suffisante et l’objectivité n’existe pas. Trois autres conditions doivent être remplies :
- Le décideur doit être responsable de ses actes
- Les décisions qu’il prend doivent s’appliquer à lui
- Le décideur et ceux qui le mandatent doivent avoir des intérêts alignés
Le premier point est décisif car un décideur qui n’est pas responsable ne peut pas prendre de bonnes décisions. Pourquoi ?
Que signifie le mot « responsable » ? D’après le dictionnaire Larousse en ligne que je vous laisse consulter, l’adjectif « responsable » a cinq significations qui, pour notre sujet, peuvent se résumer ainsi : être responsable signifie devoir rendre compte de ses actes à une autorité, devoir en supporter les conséquences, prendre en considération les conséquences de ses actes.
Je rappelais la semaine dernière qu’un patron d’entreprise privée était responsable pénalement en cas de non-respect des règlementations sanitaires, entre autres. C’est indispensable parce que les pressions du quotidien sur le dirigeant sont telles qu’elles peuvent aisément le distraire de ces risques vitaux dont l’avènement peut sembler improbable ou ne pas le concerner.
Ainsi, devoir rendre des comptes impose au décideur de mettre de l’ordre dans ses priorités. Inversement, en l’absence de sanction potentielle, le décideur ne doit de comptes à personne, il n’a pas besoin de confronter son point de vue avec d’autres. Ainsi, isolé des contraintes du monde, raisonnant dans le vide, ses décisions deviennent non pertinentes.
Le Parlement impuissant à contrôler l’Exécutif
A qui le Directeur de la Santé rend-il compte de ses actes ? Théoriquement, dans l’ordre ascendant, au Ministre, au Premier Ministre et au Parlement.
L’irresponsabilité du gouvernement et de toute l’administration est organisée par la Constitution, elle est au cœur de notre système de gouvernement. Cette absence de responsabilité ne permet pas à ceux à qui nous gouvernent de prendre les bonnes décisions. Personne ne peut leur apporter la contradiction, même le Ministre ne peut pas forcer nos chers hauts fonctionnaires à exécuter une décision dont ils ne veulent pas. Car en plus d’être irresponsables, ils sont employés à vie.
Que dit la Constitution sur le rôle du Parlement ? Art 24 : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » C’est le premier alinéa des 27 articles sur le sujet. Or, 26 et demi d’entre eux expliquent comment on vote les lois et un demi article comment le Parlement contrôle et évalue l’action du gouvernement :
Art 47-2 : La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques.
Rien d’autre. Un demi article seulement sur 27 concerne le contrôle de l’action du gouvernement par le Parlement. Et le seul outil à sa disposition est la Cour des Comptes qui n’a aucun pouvoir disciplinaire. Dénonçant de nombreuses situations honteuses voire scandaleuses, ses excellents rapports accumulent la poussière dans les placards. Elle est un arbitre sans sifflet, un gendarme sans carnet de contravention ni bâton, sans menottes ni prison. Ainsi, le Parlement n’a aucun moyen de s’opposer à l’Exécutif s’il ne respecte pas les lois, ne fait pas son travail ou prend des décisions ineptes.
L’irresponsabilité statutaire engendre l’arrogance et la corruption
L’irresponsabilité du gouvernement et de toute l’administration est organisée par la Constitution, elle est au cœur de notre système de gouvernement. Cette absence de responsabilité ne permet pas à ceux à qui nous gouvernent de prendre les bonnes décisions. Personne ne peut leur apporter la contradiction, même le Ministre ne peut pas forcer nos chers hauts fonctionnaires à exécuter une décision dont ils ne veulent pas. Car en plus d’être irresponsables, ils sont employés à vie. C’est le pouvoir sans contrôle, la recette du désastre. Et de la corruption.
Irresponsabilité et emploi à vie placent en effet nos hauts fonctionnaires (et leurs subordonnés) hors du monde dans lequel vit le reste des Français. Regardant ces derniers se débattre dans des contraintes financières et légales dont ils sont exempts, nos fonctionnaires en conçoivent un sentiment de supériorité qui alimente naturellement leur arrogance. Ainsi s’explique également le très mauvais classement de la France au palmarès de la non-corruption : en l’absence de contrepouvoir et de sanction possible, le seul argument pour faire évoluer un décideur est d’atteindre son intérêt personnel. C’est le résultat logique de la toute-puissance de nos hauts fonctionnaires.
L’irresponsabilité construite de nos dirigeants et de l’administration est un obstacle à la qualité du gouvernement de la France. Elle explique leur non pertinence, leur arrogance et la corruption dans notre pays, dénoncée dans les classements mondiaux.
Parce qu’ils sont juridiquement irresponsables, nos dirigeants publics sont non pertinents et inaptes à gouverner.
C’est parfaitement vrai et parfaitement clair.
Chez les romains on pratiquait la décimation envers les légions qui faisaient montre d’insubordination; après quelque têtes coupées, comme par enchantement tout le monde filait droit . . .